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Quand j’avais 13 ans, je vivais à la Réunion, à Mont-Vert les Hauts et j’étais en classe de quatrième au collège Emilien Adam De Villiers. Un jour, ma prof d’anglais, nous a proposé de correspondre avec un américain nommé James Edmond Mac Williams. Nous avons été un peu surpris quand elle nous a appris qu’il était dans le couloir de la mort mais elle nous a rassuré en nous parlant de l’engagement de
l' Association Justice pour tous à son égard et de son innocence. Nous étudions la ségrégation donc nous avons vite compris que James avait été un afro-américain au mauvais endroit au mauvais moment.
 

Les premières lettres étaient hésitantes, nous n’entretenions déjà pas de correspondance en français, alors faire connaissance dans une langue étrangère était plutôt complexe pour de jeunes adolescents. Puis, notre professeur nous a photographié pour James et nous y avions mis tout notre cœur, je pense que c’est à partir de là que les hésitations se sont dissipées. Nous avons donc commencé à bâtir une relation de confiance à travers des lettres que nous écrivions au brouillon afin que le professeur les corrige et nous les réécrivions au propre pour qu’elle les envoie à James. Ce dernier nous répondait et un long travail de traduction commençait pour nous avec l’aide de notre professeur. Ce travail était long et complexe mais la curiosité de la réponse de James était telle que le travail devenait un véritable plaisir. De plus, James nous répondait à tous personnellement, ce qui devait être très fastidieux pour lui qui menait en même temps ses études de droit et donnait des cours aux autres résidents de la prison d’Alabama. Je me rappelle qu’il nous écrivait à la machine à écrire sur un papier vraiment très fin. Tellement fin qu’il en était presque transparent. Pour Noël 2003, il nous avait, avec l’aide d’un ami, fabriqué des porte-clés noirs et verts sur lesquels notre prénom était gravé. Nous en avions chacun un et il les avait confectionné de ses propres mains et ce porte-clés avait été pour moi le plus beau cadeau qu’on m’ait jamais offert. C’était à mon souvenir, la première fois que l’on m’offrait un cadeau si personnel et j’ai compris à ce moment là que rien ne valait un présent réalisé à la main.

Malheureusement, je n’étais qu’une enfant et quand j’ai quitté le collège j’ai cessé de lui écrire. Je pensais souvent à lui mais la correspondance internationale me paraissait tellement compliquée à maintenir. J’ai donc grandi sans avoir de nouvelles et sans en donner. Je pensais, d’ailleurs, que je n’en aurais jamais plus. Jusqu’au jour où j’ai lu un article sur internet à propos d’un homme soutenu par Justice pour tous qui avait été exécuté alors qu’il était innocent. J’ai réellement eu peur. A tel point que j’en étais effondrée. Je pensais, en effet, qu’il s’agissait de James, j’ai donc fait des recherches et me suis aperçu qu’il était toujours en vie et malheureusement, toujours enfermé. J’ai, alors repris contact avec lui l’année dernière et lorsqu’il m’a répondu, c’était comme si je n’avais jamais cessé de lui répondre. La relation de confiance et d’amour que nous avions construite, lorsque j’étais au collège, était encore intacte. Je pense pouvoir dire, alors, que j’ai retrouvé mon père de cœur. Celui qui, alors que mon père s’enfonçait dans son alcoolisme et abandonnait sa famille, avait su assurer un rôle de père avec moi. Il faisait, par correspondance, ce que mon père ne faisait pas alors que je vivais sous son toit. Il me conseillait, me consolait, m’apaisait et c’est toujours le cas aujourd’hui. Néanmoins, quand je lui dis que je ne parviendrai jamais à réellement pardonner mon père, il prend sa défense, me rappelle que je n’ai qu’un père et que s’il a été maladroit dans ma jeunesse, il a, tout de même fait une cure de désintoxication et a tenté de se racheter par la suite.
Mon père ne connaît pas James, mais il lui doit énormément.

Un jour, alors que la situation de James, de mon père de cœur, me paraissait trop dure à supporter et que j’étais déboussolée, James m’a promis que dès que la vérité serait rétablie, il viendrait me voir. J’ai réalisé la grandeur de son âme et sa force d’esprit à ce moment-là. Cet homme est dans le couloir de la mort et pourtant, quand je corresponds avec lui, il m’arrive de croire qu’il vit dans d’aussi bonnes conditions de vie que moi, d’oublier sa situation, tant sa joie de vivre est grande. Aujourd’hui, j’attends sa libération avec énormément d’impatience car je sais que quand je le rencontrerai enfin, ce sera comme de voir mon propre père,
sans aucune gêne et tout à fait naturel.

J’ai énormément d’espoir concernant les actions menées par Justice pour tous.
J’attends impatiemment la libération de James. Il est important qu’il puisse enfin, après 26 ans, retrouver sa liberté, son droit de voyager (parce qu’il aime vraiment ça) et surtout, surtout, ses enfants.
 

 

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