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Ker'y
 
      Ma mère a été victime d’un viol et deux enfants sont nés de ce viol, ma soeur jumelle et moi. Je n’ai appris qu’une fois adulte que l’homme qui avait épousé ma mère, l’avait sommée de garder ma soeur et de me faire adopter. Elle refusa et ce fut le début d’incessantes querelles qui les conduisirent au divorce. Un jour, ma mère m’avoua que ce qui l’avait contrainte à me garder, c’est qu’elle ne voulait pas être poursuivie toute sa vie par la voix d’un petit garçon croisé dans la rue, qui lui aurait crié: “ Maman “. Elle se serait retournée en se demandant s’il ne s’agissait pas de MOI.

 Pouvez-vous imaginer ma souffrance et mon désespoir lorsque j’appris que la femme qui m’avait porté neuf mois en son sein, ne m’avait gardé auprès d’elle que pour être en paix avec sa conscience ?
Depuis ma naissance je n’ai connu que manque d’amour, rejet et indifférence, ainsi que le sentiment que ma vie ne comptait pour personne. Cela eut pour conséquence des relations amoureuses malheureuses et un mariage raté. J’ai toujours veillé à ce que les femmes que j’ai connues ne pâtissent pas de mon passé et j’ai eu à coeur d’épargner à celles qui étaient dans ma vie les souffrances et traumatismes que j’avais endurés. Il n’empêche que toutes ces relations échouèrent, car mes compagnes ne me firent pas confiance ou ne nous firent pas confiance
.
Très jeune, j'ai rencontré le Christ, le vrai Messie et ai accepté ses sacrifices sur la Croix pour réparer les pêchés de l’humanité. On m’a même raconté qu’à l’âge de trois ans alors que je commençais à peine à parler, chaque dimanche en rentrant de l’église, je disais : “Lorsque je serai grand, j’irai parler de Dieu aux hommes.
Arrivé à l’âge adulte, j’ai parcouru les Etats unis et fait ce que je répétais à l’âge de trois ans :
Parler de Dieu aux hommes.”
 
J’ai survécu à de nombreux traumatismes de l âge de six ans jusqu’ à l’âge adulte. J’ai été victime d’abus sexuels chez moi et à l’extérieur, ma mère n’a cessé de me maltraiter tant physiquement que psychologiquement, j’ai été SDF, j’ai été violé par un gang de mexicains, j’ai plusieurs fois tenté de mettre fin à mes jours,
j’ai perdu mon fils unique, ainsi que mon ami le plus cher.
 
Et puis, en 2000, l’impensable se produisit. Je venais de lancer l’association L.O.L.A. à but religieux et humanitaire pour venir en aide aux personnes en souffrance tout en étant pasteur. Mais, cette année-là, alors que je vivais à Houston, Texas, j’ai eu maille à partir avec la loi et me suis retrouvé condamné à mort en dépit de mon INNOCENCE.
 
En 2011, alors que j’étais assis sur mon bas-flanc, en larmes, j’ai demandé au Seigneur quand il me permettrait de rencontrer quelqu’un pour qui ma vie aurait un peu de valeur. Ce soir-là, j'ai reçu plusieurs lettres, émanant de nouveaux correspondants. J'ai ramassé une des lettres, prêt à la déchirer quand j’entendis la douce voix du Seigneur murmurer à mon oreille: “Ne la jette pas.” Je l'ai glissée sous mon matelas où elle a séjourné un bon mois et je ne l'ai redécouvert que lorsque j'ai cherché quelque chose que j’avais égaré. Je l'ai lue et ai vu qu’elle avait été écrite par une femme française prénommée Anne.
   
  Je ne suis pas ce condamné à mort anonyme et sans visage qu’Anne aurait pour mission de sauver. Dieu, pour une raison inconnue, a su toucher son coeur et le remplir d’un amour pour moi que je n’avais jamais eu la chance de connaître . Nous avons tissé un lien indéfectible et elle est pour moi ma grande soeur comme je suis pour elle son petit frère. J’ai grandi dans un environnement hostile où ma vie n’avait de valeur pour personne, ma famille comprise. Non parce que j’étais un enfant à problèmes mais parce que je suis le produit d’un viol, le fils d’un violeur. Quand j’ai partagé mon passé avec Anne, sa réponse m’a fait pleurer du début à la fin. La compassion et la compréhension dont elle a fait preuve m’a fait pleurer comme un bébé. Enfin quelqu’un me comprenait.
 
Et, en dépit de ses nombreux problèmes de santé, je reste pour elle, SA priorité.
Où que Jean-Pierre, son mari, et elle se trouvent, où qu’ils voyagent, ils parlent de moi aux gens qu’ils rencontrent.
De ma vie entière, on ne m’avait jamais fêté mon anniversaire. Aujourd’hui, Anne n’oublie jamais le 21 juillet.
Les mots restent à inventer pour décrire la relation qui nous unit.
Je suis en larmes parce que, enfin, ma vie a de l’importance pour quelqu’un.
 
 
 

 

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Anne

 

Aussi longtemps qu’il m’en souvienne, j’ai toujours éprouvé de l’empathie pour ceux qui souffrent. Enfant déjà, je voulais devenir infirmière.

Quand on me demande pourquoi je corresponds avec un prisonnier détenu dans les couloirs de la mort au Texas, je ne peux que répondre : parce qu’il le fallait. J’ai enseigné toute ma vie et ai appris à mes étudiants les valeurs des Droits Humains et le respect d’autrui. Mais, même si mes paroles touchaient mes étudiants, cela ne demeurait que de simples paroles.


Je suis membre d’Amnesty International depuis 1980 mais j’avais, depuis longtemps, le sentiment que mon engagement était trop superficiel. Il me semblait que je devais faire l’expérience de quelque chose de plus profond et, compte-tenu de mon âge, ( j’avais 63 ans quand j’ai commencé à écrire à Ker’y), il n’y avait pas de temps à perdre !


Ne me demandez pas pourquoi j’ai “choisi” Ker’y parmi tous ces condamnés à mort à la recherche de correspondants. Ce n’est pas lui qui m’a choisie. Comment l’aurait-il pu depuis là où il se trouve ? Nous savons maintenant que le Seigneur lui-même a souhaité unir nos destinées.


Il ne me fallut que peu de temps avant de lui dire que peu m’importait qu’il fût coupable ou innocent, croyant ou pas, hétérosexuel ou homosexuel. Tout ceci m’importait peu et il en est de même aujourd’hui. Ce qui importe, c‘est l’homme qu‘il est vraiment et il n’est en rien pas le monstre que l’état du Texas a décrit.
Petit à petit, nous nous nous sommes confiés l’un à l’autre et nous avons découvert que nous avions tous deux vécu des expériences très traumatisantes dans nos enfances respectives.


Je lui ai dit un jour, et cela n’a pas manqué de le faire sourire que, quand j’étais petite fille, j’avais commandé au père Noël un petit poupon noir et il me l’apporta ! Mais quelques années plus tard ma mère m’avoua qu’il avait été très compliqué de trouver un poupon noir juste après la seconde guerre mondiale, même à Paris ! Je ne dirai pas que Ker’y est mon “petit poupon noir” mais il est mon petit frère.


A priori, tout nous sépare : c’est un homme, je suis une femme ; il est noir, je suis blanche ; il est croyant, moi non ; nous n’avons pas la même culture et ne vivons pas dans le même pays mais nous sommes si proches l’un de l’autre que tout ce qui l’affecte m’affecte aussi et peut-être même plus profondément. Nous avons ouvert nos coeurs l’un à l’autre et il est mon ami le plus cher, mon confident et mon ange gardien.


Quand il est très déprimé, las de lutter au jour le jour, j’essaie de le soutenir et de lui remonter le moral afin qu’il ne renonce pas à ses appels. Je crois enlui, en son innocence, je crois qu’un jour je l’attendrai devant les grilles d’une prison et le verrai sortir en homme LIBRE.
Ker’y, mon petit frère et mon ange gardien, trouve l’énergie et la force de survivre au jour le jour dans cet environnement cruel et déshumanisant en sa profonde et inébranlable foi en Dieu et aussi parce qu’il sait que nous serons toujours à ses côtés, que nous ne l’abandonnerons jamais, contrairement à sa famille ou à ceux qui prétendaient être ses amis.


Nous lui rendons visite une fois par an et dès que nous arrivons ( ce détail peut sembler trivial et puéril mais il est symbolique !) je demande à mon mari de passer devant Polunsky Unit à Livingston où il es incarcéré et je crie : “ Bonjour Ker’y, nous sommes là et nous serons ensemble dès demain matin ENFIN ! “.


Le moment le plus touchant et le plus douloureux aussi est celui de la dernière visite car nous savons qu’une année entière devra s’écouler avant nos prochaines retrouvailles et quand Ker’y pose sa main sur la glace qui nous sépare et que je pose la mienne sur la sienne, et qu’il se met à prier et même à chanter doucement, nous vivons alors les moments les plus émouvants de ces quatre fois quatre heures de visite. Et chacun repart de son côté le coeur brisé mais plus riche et plus fort encore.
En un mot, nous voulons voir Ker’y VIVRE et non pas mourir et il restera
à jamais le petit frère noir dont j’avais rêvé enfant et je suis tout à la fois honorée et pleine de reconnaissance qu’il m’ait acceptée dans sa vie.

 

 

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